CHRONIQUES

TRIBUNE DU VENDREDI N°132 : Le salafisme radical

today29 décembre 2023 318 1 2

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Une menace aux portes du pays de la Téranga

Le salafisme ou « Al-Salafiyyah » en arabe est un courant religieux qui prône un retour obligatoire aux pratiques et au mode de vie qui prévalaient au sein de la communauté musulmane au VIIème siècle, à l’époque du prophète Mouhammad (asws) et de ses premiers disciples appelés « sahâbas » (compagnons) parmi lesquels les 4 Khalifs bien-guidés : Aboubakr, Omar, Othman et Ali.

À ce premier groupe formé par le prophète, ses quatre premiers Khalifs et les « sahaba » il faut encore ajouter celui des « Tâbi’îne » (leurs premiers successeurs qui ont connu certains de ces compagnons, mais pas le prophète lui-même), ensuite celui des « Tâbi’i at tâbi’îne » (les successeurs des successeurs) pour former ce que les théologiens islamiques appellent « Salaf salih » ou les pieux prédécesseurs.

Parmi les Tâbi’ûn on peut citer : Abû Bakr Mohammed ibn Sîrîn (653-728), Al-Hassan al-Basrî (642-728/737), ‘Ikrimah Mawlâ Ibn ‘Abbâs, `Umar ibn Abd al-Aziz (682-720), etc. Concernant les Tâbi’i at tâbi’ine, il y a entre autres les Imams Ja`far as-Sâdiq (702-765), Mâlik ibn Anas (710-795), Mouhammad ibn Idris ach-Châfi‘î (767-820), Ahmad ibn Hanbal (780-855), Mouhammad al-Bukhârî (810-870), Abû Dâwud (817-888), Muslim ibn al-Hajjaj (821-875) et At-Tirmidhî (824-892).

Ces trois générations de premiers croyants se distinguent du reste de la oumma par leur piété, leurs valeurs morales et leur ferveur dans la pratique religieuse. C’est pourquoi, ils sont considérés comme étant les meilleurs croyants en vertu du hadith de Al-Bukhârî dans lequel le Messager soutenait : « La meilleure des générations est celle dans laquelle j’ai été envoyée, puis ceux qui les suivent, et ceux qui suivent ces derniers… [ainsi de suite] ».

La période de temps durant laquelle ont vécu ces trois générations (du VIIème au IXème siècle de l’ère chrétienne) est considérée par les salafistes comme étant « L’Âge d’Or » de la civilisation islamique. En effet, au cours de cette période, l’islam a connu une suprématie militaire qui facilita son expansion dans toute l’Arabie et bien au-delà grâce aux guerres de conquête. Déjà, dès 632, le prophète Mouhamad (asws) et ses troupes avaient déjà conquis toute la Péninsule Arabique. À sa disparition, ses successeurs ont poursuivi la conquête avec une rapidité éclatante qui a permis d’annexer la Syrie, l’Iran, l’Irak, l’Égypte, l’Asie Centrale, le Maghreb et même d’atteindre les côtes espagnoles.

Ce succès militaire retentissant et cette domination que connut l’islam notamment avec un empire qui s’étend de l’Espagne à l’Inde au cours de l’Age d’Or, les théologiens salafistes considèrent qu’ils sont liés à la foi pure et inébranlable des salafs. C’est pourquoi, ils vont considérer que la foi pure des salafs est la solution à tous les problèmes auxquels la communauté musulmane fait face à chaque époque. Aussi au cours de l’histoire, à chaque fois que la communauté musulmane a connu une quelconque crise d’ordre politique, économique ou sociale, des voix se sont-elles levées pour prêcher un retour essentiel à l’Islam des salafs.

À ce niveau, l’Imam Ahmad ibn Hanbal le chef de file de l’école hanbalite (une des quatre grandes écoles juridiques sunnites) a été le premier à formaliser véritablement la promotion de ce retour à l’Islam des prédécesseurs. Ibn Hanbal s’opposait, en fait, catégoriquement à la doctrine rationaliste de l’école Mu’tazilite qui servait de base, entre 813 et 847, au Khalif abbasside Al-Ma’mûn `Abd Allah, fils de Hârûn ar-Rachîd et qui soutenait entre autres que « le Coran a été créé ». Allant plus loin encore, le Khalif Al-Ma’mûn a mené une inquisition contre tous ceux qui s’opposaient au dogme de l’école Mu’tazilite considéré par Ibn Hanbal comme étant une pure hérésie dans la mesure où il remet en cause l’essence même de la foi et la sacralité du Coran. Or, Ibn Hanbal rappelle que le Coran est la parole d’Allah et à ce titre il est incréé. C’est pourquoi, il insista sur la nécessité d’opérer un retour à l’Islam originel, celui que prêchait le prophète Mouhamad de son vivant et de ne rien y changer. Pour y arriver, Ahmad Ibn Hanbal préconisa une lecture et une application littérales du Coran d’une part ainsi qu’un retour à l’étude des faits et paroles du Prophète (hadiths), d’autre part.

Il convient de préciser d’ailleurs que Ibn Hanbal était un traditionnaliste ; un spécialiste du hadith en d’autres termes. Il maitrisait un nombre incalculable de hadiths (1 million selon Abu Zar’a ar-Razi) et comptait parmi ses élèves les célèbres Imams Bukhârî et Muslim qui sont les auteurs respectifs de recueils de hadiths éponymes : « Sahih Bukhârî » et « Sahih Muslim ». L’opposition de Ahmad ibn Hanbal au Khalif Al-Ma’mûn lui valut l’emprisonnement et des tortures physiques notamment la flagellation. C’est d’ailleurs, son endurance et sa piété à supporter toutes ces brimades qui ont bâti sa renommée à travers le monde islamique et ont fait de lui un modèle de détermination pour les salafistes. Si le salafisme se réduisait à la vision initiale de l’imam Ahmad, il n’y aurait quasiment aucun grief, aucun mal à lui reprocher et cela ne gênerait sans doute personne.

Toutefois, d’autres auteurs vont transformer cette vision du retour à l’Islam des salafs la rendant plus rigoureuse, plus extrémiste et plus violente que prévue initialement. Parmi ces auteurs, il y a Ibn Taymiyya (1263-1328), un disciple de l’école hanbalite qui, profitant de l’invasion des troupes mongoles sur sa région, a émis le doute sur leur véritable foi musulmane et préconisation le djihad contre eux. Pour justifier une telle fatwa, il brandit la nécessité cruciale de retourner à l’Islam des anciens afin de purifier les gens de son époque. Il prôna donc une purification complète de la foi notamment en revivifiant le « tawhiid » (la croyance en l’unicité d’Allah) et en combattant le « bid’a » (l’innovation) sous toutes ses formes. Il se radicalisa davantage en s’opposant avec véhémence à ce qu’il considère comme étant pure idolâtrie à savoir le « culte des saints » ou encore la « ziarra » (visite pieuse) de leurs tombeaux.

Il s’opposa également aux pensées développées par l’Imam Al-Ghazali celles de Ibn ‘Arabî auteur des Futuhâtu Makkiya. Il faut aussi rappeler qu’Ibn Taymiyya en puritain excessif et réformiste a développé l’idée permettant à un musulman d’excommunier un autre (« takfir ») pour le seul motif qu’il ne suit pas telle quelle la loi islamique. Ces musulmans qui n’adhèrent pas à l’idéologie salafiste, il les considère comme des « ennemis de l’Islam ». Aussi, ira-t-il plus loin encore en émettant en 1305 une fatwa appelant au massacre de masse des chiites qu’il considérait comme des apostats. La violence de ses idées et ses prises de positions souvent totalement à l’opposé des avis des quatre grandes écoles juridiques sunnites (madhhab : hanafite, malikite, chaféite et hanbalite) lui valurent plusieurs séjours en prison (plus de 6 ans au total).

À la suite de Ibn Taymiyya, d’autres auteurs ayant adhéré à la doctrine salafiste vont rivaliser d’ardeur pour la rendre davantage plus acerbe et plus intolérante. Parmi eux, il y a bien évidemment Muhammad ibn Abd al-Wahhab (1720-1792), le chef de file du mouvement wahhabite s’inspira plus tard des idées de Ibn Taymiyya pour développer sa propre vision du salafisme.

Le wahhabisme à proprement parler est une branche du salafisme qui concentre dans son idéologie la vision littéraliste de l’école hanbalite et le puritanisme instauré par Ibn Taymiyya ; ce qui le rend encore plus rigoureux et encore beaucoup plus intransigeant. Ibn Abd al-Wahhab fit de la lutte contre le « shirk » (associationnisme) et le bid’a sa priorité. Il s’opposa vigoureusement aux soufis dont il juge que leurs pratiques étaient des innovations en l’Islam. Il leur reprochait par exemple en plus du culte des saints le fait d’invoquer Allah en faisant appel à l’intercession du Prophète Mouhammad (« tawassul » en arabe) ou d’un « quelconque saint ». Il assimila en fait toutes ces pratiques à de l’idolâtrie et jugeait que les adeptes du soufisme et du chiisme étaient « pires que les infidèles eux-mêmes ».

C’est pourquoi, s’appuyant sur les idées de takfir de Ibn Taymiyya, il considère que les tuer était légal du point de vue de l’Islam. Dans sa vision, le prophète Mouhammad, ses descendants tout comme les prétendus saints sont au même pied d’égalité que le reste de la oumma, et donc à ce titre ils n’avaient droit à aucun privilège par rapport aux autres. La vision wahhabite du salafisme préconise le recours au djihad contre les « ennemis de l’Islam ».

En 1744, sur invitation de Mohammed Ibn Saoud, un pacte donnant-donnant est conclu avec Muhammad ibn Abd al-Wahhab. Les termes de cette alliance stipulaient que l’ancêtre du clan Al Saoud avait pour mission de protéger et de répandre l’idéologie wahhabite ; tandis que Muhammad ibn Abd al-Wahhab devait de son côté soutenir le pouvoir de l’autre partie comme étant le souverain légitime de l’Etat saoudien (qu’ils allaient mettre en place ensemble). À partir de là, Ibn Abd al-Wahhab a prêché l’obéissance sans faille que le peuple devait à l’Amir Mohammed Ibn Saoud. C’est ce pacte-là qui prévaut toujours entre l’idéologie wahhabite et la famille régnante d’Arabie Saoudite. D’ailleurs, le Ministre saoudien en charge du culte est toujours choisi parmi les descendants de Muhammad ibn Abd al-Wahhab. Ainsi, le wahhabisme est devenu l’idéologie d’Etat pour ne pas dire la religion d’Etat au Royaume Saoudien. La famille régnante des Al Saoud, de son coté, a fait tout son possible pour que la doctrine wahhabite se perpétue en veillant à ce qu’elle soit enseignée dans toutes les écoles et universités du royaume.

Pour mieux répandre la doctrine wahhabite, le royaume saoudien encourage officieusement les mécènes (membres de la famille royale comme puissants hommes d’affaires) à offrir des bourses d’études aux étudiants étrangers pour venir étudier la religion dans les universités du pays. De même, le royaume saoudien finance à coups de pétro milliards la création d’écoles, d’instituts et d’universités islamiques dans plusieurs pays à travers le monde en y envoyant leurs propres enseignants pour former de nouvelles vagues d’adhérents.

Au Sénégal, il y a l’Ecole Imam Mouhamad Boun Saoud « Al Falah » à Colobane à titre d’exemple. Ils se sont aussi assurés de créer des mosquées dans tous les coins du pays afin d’avoir une tribune légitime, leur propre canal pour véhiculer leur message intégriste auprès des masses crédules, facilement manipulables et en quête d’une véritable identité religieuse.

Dotés d’une éloquence qui cache bien leur véritable dessein, et pas forcément du niveau d’érudition qu’ils prétendent avoir, ils attirent les plus faibles d’esprits d’entre nous pour disent-ils les sortir du shirk dans lequel ils baignent depuis longtemps. Agissant en fins stratèges ils ne sont pas pressés en ce sens qu’ils visent le long terme avec comme objectif final : réduire à néant l’Islam soufi (les foyers religieux) pourtant largement majoritaire au Sénégal.

Avec une haute estime de soi, ils ont la prétention de penser être les seuls « vrais » musulmans incarnant l’Islam des salaf en accord avec la sunna du prophète Mouhamad (asws). C’est pourquoi à la place des appellations salafistes ou wahhabites, ils préfèrent « Ahlu Sunna wal Jama’a » ; autrement dit « les gens de la tradition et de la communauté du prophète ». Ils se sont même arrogé le droit de classer la communauté islamique en deux groupes : eux d’un côté et ceux qu’ils appellent « mécréants » (kuffar en arabe) et qui sont tous ceux qui n’épousent pas la doctrine salafiste de l’autre.

Si pendant longtemps ils ont opéré en douce comme des cellules dormantes préférant user que de la da’wa ((prosélytisme religieux) sans aucune violence dans un premier temps, aujourd’hui, ils commencent à s’assumer, à s’affirmer progressivement et à se montrer en public surtout à travers des chaines YouTube, devenant de plus en plus virulents avec les tariqas du pays. Désormais, ils n’hésitent même plus à s’attaquer ouvertement aux fondateurs de ces foyers religieux soufis qu’ils osent traiter d’associationnistes et de décréter l’enfer pour leurs disciples. D’ailleurs, tout récemment, l’un d’eux et le plus tonitruant du moment, s’est permis de se moquer de la très disciplinée communauté Tidjane allant jusqu’à traiter son fondateur Seydina Cheikh Ahmad At-Tîdjân (rta), un descendant du prophète Mouhammad (asws) qui plus est, d’ancien catholique converti à l’Islam. Cela lui a valu un séjour temporaire en prison après la plainte déposée par quelques groupes de fidèles appartenant à la communauté Tidjane.

Il y a quelques semaines, un de leur guides (le Dr A. L) a affirmé que l’Etat du Sénégal leur a octroyé 70 000 m2 de terrain à Diamniado pour la construction de la future Université Islamique, un de leurs projets phares. Une fois que ce projet sera à terme, ces extrémistes répandront plus facilement encore et à plus grande échelle leur idéologie et bruleront à coup sûr ce havre de pays qu’a toujours été notre cher pays. Aujourd’hui alors, il est crucial pour les turuq du pays (Khâdres, Tîdjânes, Mourides, Layènes, etc.) de s’unir en un seul bloc, de s’organiser et de coordonner leurs efforts pour affronter l’ennemi commun à savoir le salafisme radical du wahhabisme et préserver l’héritage de nos valeureux guides, ces défenseurs de l’Islam qui nous ont fait connaitre Allah le Créateur Tout-Puissant et nous ont abreuvé dans la lumière du Tawhiid. L’Etat doit aussi prendre ses responsabilités pour fixer des limites à ne plus franchir sinon il y a un grand risque que la vindicte populaire des soufis largement majoritaire s’abatte comme une foudre aveugle sur ces minorités de wahhabites catalyseurs de chaos.

Par Chérif Alassane Lahi Diop « Sibt Sâhibou Zamâne »,
Analyste politique et économique,
Expert en Commerce et Management des Affaires Internationales.

Écrit par: soodaan3

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