CHRONIQUES

TRIBUNE DU VENDREDI N°156 : Partage d’expériences

today14 février 2025 151 2

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Partage d’expériences

Après avoir lu la lettre de suicide de l’étudiant Matar Diagne, un jeune plein d’espoir avec beaucoup d’ambitions – mais qui a vu ses rêves brisés par une maladie et d’autres facteurs d’ordre social – j’ai pris l’initiative de rédiger cette tribune pour partager une expérience, sensibiliser par la même occasion et tenter d’être «la voix des sans-voix qui croupissent dans les cachots du désespoir».

Matar Diagne, c’est ce frère, cette sœur, ce cousin, cette cousine, cet(te) ami(e) très poli(e), correct(e), sans histoire qui affiche un sourire tout le temps pour sauver les apparences alors que pendant ce temps il souffre tout seul et en silence.
C’est aussi, ce voisin que tu rencontres souvent à la boutique du coin, à la mosquée et même dans la rue, bien habillé qui fait tout pour paraître correcte mais qui en même temps cache au plus profond de lui un lourd secret, les séquelles d’une vie remplie d’épreuves et/ou de mauvais traitements subis pendant longtemps sans broncher. La plupart du temps ces mauvais traitements et brimades sont le fait de personnes qui lui sont proches et même qui sont chers à son cœur. Ne trouvant pas de refuge ou de tribune où se décharger de toute cette peine, la personne préfère la garder au plus profond de lui. Or, cela n’est pas sans conséquence physiques et psychologiques. Au fil du temps, cela le ronge de l’intérieur la rendant progressivement introvertie, calme, distante voire casanière. Il finit par perdre la confiance en soi et finit par s’isoler pour fuir ses proches.

Aujourd’hui c’est Matar Diagne, une énième victime de la société qui part tristement. Demain, ce sera le tour de qui ?

Avoir toute ma vie, et ce depuis mes 15 ans, aidé plusieurs personnes dans la même situation que Matar Diagne, me donne la légitimité, si besoin en est, pour parler de ce sujet concernant les laissés pour compte au ban de la société. Avec le recul, c’est comme si une sorte de magnétisme attirait (et attire encore) ces âmes en détresse auprès de moi pour qu’elles se confient à moi à cœur ouvert. La plupart du temps, il me suffit juste de leur prêter mon oreille, les écouter et elles se sentent soulagées ; car débarrassées d’un lourd fardeau. À partir de là, elles sont liées à vie à moi et je les considère comme des membres de ma propre famille.

À titre d’exemple, à mes 15 ans, j’ai eu un camarade de classe du collège qui, après avoir eu de mauvaises notes à voulu fuir le domicile familial par crainte d’éventuelles représailles d’un père gendarme très dur et très violent. Ses parents avaient divorcé et il vivait avec son père qui lui faisait vivre un calvaire indescriptible en dépit du fait qu’il subvenait à tous ses besoins et pensait être un bon père (à sa façon). Mon ami ne manquait de rien et vivait dans une belle maison avec toutes les commodités, mais redoutait tellement son père. Après avoir reçu nos bulletins scolaires, il avait fuit pour venir chez moi en pleine nuit m’avouant qu’il allait partir loin. Conscient que la peur qu’il avait du traitement que lui réservait le père aurait pu le mener à commettre l’irréparable y compris aller se jeter en mer et depuis un pont, je l’ai convaincu de rester dormir chez moi pour laisser le soin à ma mère de jouer les médiations le lendemain.

Le lendemain, son père, tout noir de colère, s’est déplacé à notre école et s’est même entretenu avec ma mère et les responsables de l’école ; ce qui a atténué sa colère. Je me rappelle aussi de ce jeune de ma génération, neveu d’une grande personnalité de l’État à époque, et qui, après avoir eu de mauvaises notes, s’était jeté depuis le 4ème étage de son collège d’excellence en ville pour tenter de se suicider. Par la suite, il avait rejoint notre lycée et on pouvait le voir traîner pour la vie les séquelles de cette tentative de suicide échouée, notamment avec un visage déformé. Il était toujours calme et isolé du groupe.

D’autres personnes encore sont souvent venues me voir affichant les signes de quelqu’un qui était sur le point de commettre l’irréparable, parfois même elles me l’ont avoué après avoir vécu un échec ou avoir commis une erreur. Pour la plupart c’était des histoires de grossesse hors mariage ou de projets de mariages auquel quelques membres de la famille s’étaient opposés pour des histoires de castes ou rang social. Des choses qui, il faut le préciser, sont complètement rejetées par la doctrine Ahloulahi. Pour d’autres, c’était juste parce qu’ils ont vécu une succession d’épreuves très difficiles et qui les avaient poussé, à un certain âge, à penser qu’ils avaient raté leur vie et donc qu’ils n’avaient plus leur place dans ce monde.

En pareilles occasions, je m’appuie toujours sur ma foi et mes maigres connaissances en religion pour les aider à traverser ces moments périlleux. Ma méthode, c’était d’abord de tenter de stimuler et amplifier la petite lueur de foi qui restait encore dans leur cœur afin de les mener à reconnaître que ce qui leur arrivait était avant tout la matérialisation de la volonté toute puissante et irrévocable du Créateur. Et alors je pouvais citer plusieurs passage du Coran à l’image de celui-là:

{ أَمۡ حَسِبۡتُمۡ أَن تَدۡخُلُوا۟ ٱلۡجَنَّةَ وَلَمَّا یَأۡتِكُم مَّثَلُ ٱلَّذِینَ خَلَوۡا۟ مِن قَبۡلِكُمۖ مَّسَّتۡهُمُ ٱلۡبَأۡسَاۤءُ وَٱلضَّرَّاۤءُ وَزُلۡزِلُوا۟ حَتَّىٰ یَقُولَ ٱلرَّسُولُ وَٱلَّذِینَ ءَامَنُوا۟ مَعَهُۥ مَتَىٰ نَصۡرُ ٱللَّهِۗ أَلَاۤ إِنَّ نَصۡرَ ٱللَّهِ قَرِیبࣱ }
«Pensez-vous entrer au Paradis alors que vous n’avez pas encore subi des épreuves semblables à celles que subirent ceux qui vécurent avant vous ? Misère et maladie les avaient touchés ; et ils furent secoués jusqu’à ce que le Messager, et avec lui, ceux qui avaient cru, se fussent écriés : « Quand viendra le secours d’Allah ? » – Certes, le secours d’Allah est sûrement proche.» [Sourate AL-BAQARAH : 214]

Ensuite, j’en arrivais à leur rappeler que les épreuves nous étaient soumises uniquement pour tester notre endurance et notre foi (surtout dans la grâce et la miséricorde d’Allah). Mais qu’à chaque fois que nous l’acceptons, Allah nous apporte Son secours. Aussi, leur rappelais-je cette parole pleine de compassion et d’espoir du Coran :

{ یَـٰۤأَیُّهَا ٱلَّذِینَ ءَامَنُوا۟ ٱسۡتَعِینُوا۟ بِٱلصَّبۡرِ وَٱلصَّلَوٰةِۚ إِنَّ ٱللَّهَ مَعَ ٱلصَّـٰبِرِینَ }
«Ô les croyants ! Cherchez assistance dans l’endurance et la prière (Aṣ-Ṣalāt). Car Allah est avec les endurants.» [Sourate AL-BAQARAH : 153]

À la suite du précédent verset, je me permettais de leur expliquer que pour être avec Allah, il faut être endurant. Or pour être endurant il faut avoir vécu une épreuve quel que soit son niveau de difficulté tout en l’acceptant, la supportant. Je rappelais aussi que la difficulté des épreuves est proportionnelle à la proximité avec Allah. Autrement dit, plus on est proche d’Allah, plus difficiles est l’épreuve à laquelle Il nous soumet. Pour appuyer mon argumentaire, je citais les exemples des épreuves qu’ont vécu les prophètes qui sont pourtant les meilleurs d’entre les hommes et les plus proches du Seigneur, surtout le nôtre, notre modèle ultime Seydina Mouhamad qui avait vu s’éteindre successivement tous ses fils et de vivre les moqueries de ses contemporains. Cela avait poussé Allah à révéler la sourate kawthar pour le soulager et lui apporter Son soutien. Je rappelais aussi toutes les exactions qu’il avait subies de la part des impies de la Mecque. Ils l’avaient contraint à l’exil loin de sa terre natale de la sainte Mecque pendant treize longues années et l’avaient même blessé au cours d’une bataille où il s’est retrouvé ensanglanté et avec la dent brisée. Pourtant il est le meilleur de la Création.

À partir de là, ils se sentent pas seuls dans l’épreuve et pouvaient commencer à regagner de la confiance. Mais je m’en arrêtais pas là ; j’augmentais mes contacts avec eux soit en multipliant les occasions pour nous voir et échanger sur plusieurs sujet.

Pour les personnes qui, après avoir commis une erreur, un péché et qui, affaiblies par la tourmente, ont pensé à mettre fin à leur vie, je suis empathique en me mettant dans leur position. Je leur avouais alors que même moi qu’ils prennent pour un modèle au point de venir se confier à moi, je n’étais pas à l’abri pour commettre les mêmes erreurs et que c’est seulement grâce au soutien d’Allah que je pouvais encore espérer être épargné de ces erreurs. J’ajoutais que seuls ceux qui ont déjà quitté ce monde sont sûrs d’être définitivement épargnés de ces erreurs qui sont humaines. Je leur rappelais aussi que notre père Adama qui est pourtant le premier prophète avait fini par s’approcher du fruit interdit ; ce qui lui avait valu d’être éjecté du paradis avant de gagner ensuite le pardon du Créateur et d’avoir une seconde chance. C’était une façon pour leur faire comprendre que l’erreur est humaine. Et que nous avions tous droit à une seconde chance pour nous parfaire et être la meilleure version de nous-mêmes.

Toujours dans ma démarche je rappelais que Allah dans Sa grande sagesse et Sa miséricorde incommensurable ordonnait au Messager (asws) :

قُلۡ یَـٰعِبَادِیَ ٱلَّذِینَ أَسۡرَفُوا۟ عَلَىٰۤ أَنفُسِهِمۡ لَا تَقۡنَطُوا۟ مِن رَّحۡمَةِ ٱللَّهِۚ إِنَّ ٱللَّهَ یَغۡفِرُ ٱلذُّنُوبَ جَمِیعًاۚ إِنَّهُۥ هُوَ ٱلۡغَفُورُ ٱلرَّحِیمُ
«Dis : « Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les péchés. Oui, c’est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux. »»[Sourate AZ-ZUMAR : 53]

Une façon pour montrer que Allah pardonne tous les péchés à condition de respecter les chartes telles que l’a rappelé Al Akhdariyou :
1.regretter l’erreur qui a été commise ;
2.avoir l’intention de ne plus retourner à cette mauvaise action pour le reste de sa vie ;
3. arrêter cet acte de désobéissance
Enfin, Je leur conseillais aussi de trouver refuge dans la dévotion notamment en leur donnant des formules de dhikr et des « nawâfil » à faire régulièrement pour renforcer leur piété et leur force mentale.

En définitive, nous devons être à l’écoute, être vigilants, à l’affût et être là pour nos proches qui souffrent en silence sans trouver quelqu’un de sûr auprès de qui se confier. Soyons solidaires avec notre prochain dans la joie et dans la peine. Arrêtons de dénigrer ou de sous-estimer ou rabaisser notre prochain. Arrêtons la stigmatisation sociale. Arrêtons aussi de juger notre prochain sur la base de ses erreurs commises. Apprenons à écouter sans juger. Arrêtons enfin de décréter l’enfer à tort et à travers pour nos frères et sœurs qui, comme nous, ont accompli la profession de foi (Ash-hadu ane lâ ilâha illâl-Lâh : Je témoigne qu’il n’y a nulle divinité qu’Allâh).

D’ailleurs, qui sommes-nous pour juger notre prochain ? Sommes-nous des saint(e)s accompli(e)s ? Sommes-nous sûrs que notre place au paradis est déjà acquise ?

Ceci étant étant dit, le suicide est complètement interdit par toutes les religions révélées a fortiori par l’Islam. Un croyant doit être assez fort pour résister, endurer et accepter les difficultés et épreuves de la vie. Pour réussir cela il doit s’armer de sa foi, augmenter ses actes de dévotion et se trouver un « Cheikhoul Mourabbi » digne de ce nom pour l’accompagner dans ces moments et lui montrer la voie.

Être à l’écoute de tout le monde pour apporter mon soutien m’a coûté plusieurs relations amicales et d’autres de quelque nature que ce soit au fil des années pour la simple raison que le temps que je leur accorde me fait manquer des appels téléphoniques et de lire à temps les nombreux messages que je reçois par jour. Pourtant avec le recul et la triste disparition du jeune Matar Diagne, je ne regrette pas mon choix d’accorder quasiment tout mon temps aux âmes en détresse au risque d’oublier ma propre personne et mon bien-être.

Ces gens qui sont notre frère, notre sœur, notre ami(e), notre voisin(e), notre coreligionnaire, notre concitoyen(ne) ont besoin de chacun de nous pour les soutenir et leur rappeler qu’ils ont encore leur place parmi nous.
Qu’Allah accorde Sa Miséricorde et Son Paradis à Matar Diagne et à tous ceux qui, un jour, se sont retrouvés dans la même position que lui.

{ رَبَّنَاۤ أَفۡرِغۡ عَلَیۡنَا صَبۡرࣰا ببركةنبيك المصطفى و رسولك المرتضى }
«Seigneur ! Déverse sur nous l’endurance ».

Par Chérif Alassane Lahi Diop « Sibt Sâhibou Zamâne »,
Analyste politique et économique,
Expert en Commerce et Management des Affaires Internationales,
Secrétaire Général de Vision 129.

Écrit par: soodaan3

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