Chérif Mouhamadou Lamine Lahi et Chérif Mame Libasse Lahi lors de la célébration de la naissance du Messager d’Allah (psl) en octobre 2021.
La célébration de la naissance (Maouloud) du meilleur de la création, Seydina Mouhamad (asws) dans la nuit du 11 au 12 du mois rabiul awwal a soulevé plusieurs débats contradictoires au sein de la communauté islamique. En effet, là où certains érudits jugent opportune, logique et normale que cette illustre naissance soit célébrée pour servir de modèle, d’autres encore plus extrémistes (salafistes et wahabites généralement) rejettent jusqu’à la dernière énergie car l’assimilant à une «bid’a» (innovation).
Au Sénégal la célébration de la naissance du prophète (asws) communément appelée «Gamou» a été initiée par l’éminent guide soufi de confession tidjane Cheikh Sidi El Hadji Malick Sy (rta), maitre de la Khadra de Tivaouane. Depuis lors, l’événement a pris beaucoup d’ampleur dans ce pays car il est célébré annuellement par toutes les grandes confréries religieuses.
Dans la suite, nous tenterons d’expliquer le concept de «bid’a» en l’islam pour enfin aboutir à établir la pertinence ou non de la célébration de la naissance du sauveur de l’humanité (asws). La notion de «bid’a» renvoie généralement à un fait nouveau sans précédent. Dans la tradition prophétique il existe plusieurs textes traitant de la notion de « bid’a », mais nous en citerons trois hadiths fondamentaux.
D’abord ce hadith de la mère des croyants Seyda Aïcha (rta) rapporté dans Sahih Muslim (n°1718) et Sahih Al-Bukhari (n°2697) :
«Celui qui innove dans notre affaire-ci (la religion) une chose qui n’en fait pas partie, alors cette chose est rejetée.»
Dans ce hadith, l’expression «qui n’en fait pas partie» réduit le champ d’application et permet de comprendre que le prophète (asws) parle en fait d’un fait nouveau qui va à l’encontre des principes islamiques. S’il s’était limité à dire «Celui qui innove dans notre affaire-ci (la religion), alors cette chose est rejetée», alors on aurait pu dire sans risque de se tromper que toute innovation [bonne ou mauvaise] est catégoriquement interdite.
Ensuite le hadith de Jarîr Ibn Abdellah Albajalî dans Sahih Muslim (n° 2348) : «Si quelqu’un introduit dans l’islam une bonne tradition (sunna hassanah), il bénéficiera de sa récompense et aura une récompense à chaque fois que d’autres la mettront en œuvre, sans que la récompense de ces derniers soit diminuée. Celui qui introduit en islam une mauvaise tradition (sunna sayyiah), il sera tenu responsable de ses méfaits et des méfaits de ceux qui la mettront en œuvre, sans que la responsabilité de ces derniers soit allégée.». Il apparaît donc clair que l’islam anticipe l’introduction éventuelle de nouvelle sunna encore faudra-t-il qu’elle soit une « bid’a hassanah » (bonne innovation). C’est d’ailleurs sur ce hadith que l’imam An-Nawawi fonde sa vision sur l’innovation, comme nous le verrons dans la suite.
Enfin, cet autre hadith jugé «sahih» (authentique) rapporté à travers diverses variantes :
«Certes, la parole la plus véridique est le livre d’Allah et la meilleure guidée est la guidée de Muhammad. Certes, les plus mauvaises choses sont les innovations et toute innovation « muhdathatine » est bid’ah, et toute bid’ah est égarement.» [Version de Sahih Muslim, n°867, rapportée par Jabir ibn Abdellah].
Dans son commentaire à propos de ce hadith, l’imam An-Nawawi précise que l’expression «toute innovation est bid’ah», traduction de «kullu muhdathatine bid’ah» doit être comprise au sens suivant : toute innovation non conforme aux principes de la voie légale est bid’ah (au sens de l’égarement).
Par ailleurs, dans son ouvrage intitulé Manaqib Ash-shâfi’i, l’imam Albayhaqi nous rapporte cette célèbre formule de l’imam Ash-Shafi’i (chef de file de l’école chaféite) : «L’innovation (muhdathah) est de deux sortes : la première, celle qui contredit (l’une des sources du droit musulman) : le Coran, la tradition prophétique ou le consensus, celle-ci est l’innovation (bid’ah) de l’égarement. La seconde, celle qui introduit un bien et qui ne comporte aucune contradiction avec les sources précédentes, cette innovation (muhdathah) ne saurait être blâmable».
L’on peut comprendre dès lors qu’il ne faut pas uniquement se limiter à l’aspect innovant pour établir le statut d’un fait jugé nouveau. Mais plutôt vérifier sa conformité ou non aux préceptes islamiques. À ce propos, il convient de préciser qu’il y a eu plusieurs exemples d’innovations pendant le règne des quatre Khalifs et même après eux mais aussi du temps du prophète lui-même (asws). En effet :
– 1er exemple : dans un hadith de Rifâ’a ibn Rafi’, rapporté par Sahih Al Bukhari : «Nous prions sous la direction du Prophète. Quand il s’est remis de l’inclinaison (roukou’) en disant : « Allah écoute bien celui qui Le loue (sami’a Allah liman hamidah)« , un homme a dit : « Ô Seigneur (Allah) ! A Toi les louanges, beaucoup de bonnes et généreuses louanges bénies, plein les cieux et plein la terre et plein de tout ce que Tu voudras au-delà d’eux » (rabanâ wa lakal hamd, hamdane kathîrane tayyibane mubârakane). A la fin de la prière, le Prophète dit : « Qui a parlé ? » L’homme répond : « Moi. » Le Prophète dit : « J’ai vu plus de trente anges s’empresser pour l’inscrire (dans tes bonnes œuvres) ».»
– 2ème exemple : dans un hadith célèbre de Sahih Al Bukhari, n° 1098, il est rapporté que Bilal, compagnon et muezzin du Prophète, a instauré une prière surérogatoire (nafilah) qu’il accomplissait après chaque ablution (purification rituelle). Le Prophète ne le lui a pas reproché. Au contraire, il lui a annoncé une bonne et heureuse récompense pour cette bonne œuvre.
– 3ème exemple : le premier Khalif Abou Bakr As-Saddiq, à la demande d’Omar, a procédé à l’assemblage du Saint Coran sur un seul ouvrage, malgré la réticence de certains compagnons arguant que le Prophète ne l’a pas fait de son vivant (Sahih Al Bukhari, n° 4986). Il convient de préciser que la compilation du Coran en entier s’est faite la première fois sous les ordres du premier Calife Abou Bakr puis définitivement à l’époque du troisième Khalif ‘Uthmân Ibn ‘Affân.
– 4ème exemple : l’imâm Mâlik dans son Muwatta et l’imâm Al Bukhâri dans son Sahih rapportent qu’après les avoir qualifiées d’une «bonne bid’a», le deuxième Khalif Seydina Omar instaura les prières surérogatoires nocturnes du mois béni de ramadan dénommées «tarâwih».
– 5ème exemple : d’après Al Bukhary (n°912), Seydina ‘Uthmân Ibn ‘Affân a instauré un deuxième adhan pour appeler les fidèles à la prière du vendredi.
– 6ème exemple : du temps du prophète Muhammad, les lettres de l’alphabet arabe ne comportaient pas de points diacritiques. Aussi, les lettres ب ت ث ن ي s’écrivaient-elles toutes de la même manière. Cette situation posait beaucoup de difficultés aux musulmans non arabophones pendant la lecture du Coran. C’est pourquoi un des compagnons de l’imam Ali (4ème Khalif) du nom d’Abu Al Aswad Adduali a introduit les points pour les aider à mieux faire la distinction entre les lettres. Plus tard, l’utilisation des voyelles simples et les règles de grammaire arabe ont aussi été introduites.
Par ailleurs, la célébration du Maouloud ou Gamou sert de cadre rassemblant des dizaines de millions de fidèles musulmans, hommes, femmes, et enfants unis autour d’une seule et même quête : se souvenir de la vie exemplaire de la plus belle œuvre d’Allah (à savoir Seydina Mouhammad) ainsi que de ses nobles traits de caractère qui ont démontré à suffisance qu’il est en tout point la meilleure des créatures. Dans une telle démarche, le but recherché étant après cette séance de souvenir de disposer d’assez d’éléments de référence et d’informations pour essayer au maximum de copier le saint prophète dans sa façon d’adorer Allah, dans sa façon de composer avec sa famille, ses fidèles sahaba, ses frères et sœurs musulmans, son voisinage (les Ahl al kitaab) etc.
C’est aussi une précieuse occasion pour toutes ces masses de réaliser dans l’unité des milliers et des milliers d’actes de dévotion pure et sincère en terme de nafila, zikr (tawhiid pur, souvenir d’Allah), istighfâr faisant oublier aux frères et sœurs en l’Islam (les plus négligents), le temps d’une journée entière, tout acte de dépravation des mœurs, toute envie de commettre un péché, tout acte de corruption de l’âme et en ôtant de nos cœurs toute inimitié et toute pensée contraire aux valeurs islamiques.
Pour tout cela, nous pensons qu’il est fort déraisonnable, fort regrettable, illogique, irresponsable, inconscient voire bête tout simplement de s’opposer à une telle célébration en considération de tous les bienfaits qu’elle procure à chacun de nous.
En définitive, nous disons que cette polémique stérile autour du statut de la célébration du Gamou est inutile à tout point de vue. Car de la même manière que les points diacritiques ont été introduits pour faciliter la lecture du Coran, de la même manière que le Coran jadis contenu uniquement dans la poitrine des pionniers ou inscrit sur des omoplates de chameau a été rassemblé dans un livre après la mort de plusieurs « hâfîz » au cours des « jihâd fî sabilil-Lâhi », etc. la célébration du « Mawlidu Nabi » est devenue aujourd’hui un besoin croissant, une demande pressante de l’heure pour répondre au nouveau paradigme de « Âhiru Zamâne ». Maintenant là où le débat serait pertinent c’est sur le format de la célébration en tant que telle pour en éviter toute exagération et tout folklore.
Qu’Allah agrée l’œuvre de Cheikh Sidi El Hadji Malick Sy et celle de ses pairs, fondateurs de l’islam confrérique au Sénégal.
Que Paix, Salut et Bénédictions soient éternellement renouvelés sur notre maître Seydina Limamou Lahi Al Moukhtâr Wa Seydil Anlamîna.
«Ndokkalé à toutes et à tous»
Polémique inutile autour de la célébration de la naissance de la meilleure des créatures